Published On : 6 décembre 2014 |Last Updated : 31 mars 2017 |1323 words|5,6 min read|0 Commentaire on Et si on arrêtait avec les « bourses au vagin »|

Ce 6 décembre, Polytechnique Montréal fête un bien triste anniversaire : celui des 25 ans de la fusillade perpétrée par un illuminé anti-féministe, qui a coûté la vie à 14 étudiantes en ingénierie. À la mémoire de ces femmes a été créé l’Ordre de la Rose Blanche, qui remettra chaque année une bourse de 30 000 $CA à une étudiante canadienne qui poursuivra des études en sciences aux cycles supérieurs (maîtrise ou doctorat).  La première condition d’admissibilité à la bourse est « être de sexe féminin".

En France, il existe de nombreuses initiatives similaires, telles que le programme Tu seras ingénieure ma fille. Mais n’est-on pas allé trop loin dans le sexisme bienveillant pour attirer les filles en sciences appliquées ?

#Nécessaire retour sur le sexisme

L’article 7 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme stipule :

« Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination. »

Le texte fondamental de la plupart des constitutions inscrit donc la protection contre les discriminations — toutes les discriminations — comme un droit fondamental et inaliénable.

Et justement, parmi les discriminations, il en est une qui nous intéresse particulièrement ici : le sexisme. Sa définition stricte, non altérée par un usage abusif dans les média et dans les conversations courantes, est d’après le Larousse  :

« Attitude discriminatoire fondée sur le sexe. »

Or c’est bien ça qui nous dérange ici : le premier critère d’admission à la bourse est d’être « de sexe féminin ». On parle de celle-ci en particulier, mais il en existe plein d’autres du même acabit. Imaginons une seconde une bourse dont le premier critère d’admission serait « être de sexe masculin »… En 2014, cela provoquerait un tollé : on crierait aux phallocrates, on hurlerait à la mainmise masculine sur le pouvoir, on sortirait les banderoles et les Fémens. Et on aurait raison.

Mais il semblerait que la « discrimination positive » des femmes fondée sur le sexe ne soit pas du sexisme, ou alors un sexisme acceptable.

On arguera alors que ce sexisme bienveillant n’est que transitoire et nécessaire le temps de « changer les mentalités ». Le sexisme dans le sens inverse, le renversement des inéquités seraient donc susceptibles de restaurer une nécessaire équité entre les sexes, vraiment ? Le raisonnement physique par lequel un déséquilibre peut se compenser par un déséquilibre opposé pour aboutir à un état stable paraît un peu simpliste au niveau social.

#Les femmes ont-elles besoin d’encouragement ?

Ce sexisme bienveillant serait donc mis en place pour encourager les femmes à étudier dans des filières où elles sont minoritaires actuellement. Mais ont-elles été découragées ?

Dans la revue Plan (revue de l’Ordre des Ingénieurs du Québec) de décembre 2014, Nathalie Provost, ingénieur blessée par balles lors de l’attentat de Polytechnique il y a 25 ans, déclare notamment :

« 
[…] Je suis née au Québec dans un milieu où j’avais accès à l’éducation sans barrière aucune, et ce quel que soit mon domaine d’études »

Dans une autre interview accordée au Polyscope, journal étudiant de Polytechnique Montréal, elle disait également ne pas avoir eu à se battre pour entrer à Polytechnique, mais avoir simplement envoyé ses bulletins avec une demande d’admission. Il y a déjà plus de 25 ans.

Faudrait-il réellement pousser les femmes à coups de campagnes de sensibilisation et de bourses pour qu’elles s’engagent en sciences appliquées ? Car ceci envoie un message gênant : les femmes auraient donc besoin de soutien et d’encouragement face à leurs collègues masculins. Cela revient en effet à nier leur capacité à s’en sortir toutes seules « à armes égales », et à les maintenir dans des positions de victimes d’un système prétendûment phallocrate. C’est aussi une forme d’infantilisation, et par là même la forme la plus pernicieuse de sexisme : ce sexisme paternaliste qui dit aux femmes qu’on les aidera à s’en sortir mais qui sous-entend qu’elles auront toujours besoin d’aide. Sans compter que les femmes y perdent au passage en crédibilité aux yeux de leurs collègues masculins.

De plus on peut regarder plus loin… Dans les filières littéraires (langues, communication), en arts, en droit et dans les sciences du vivant (biologie, médecine, infirmerie) les hommes sont sous-représentés, parfois à hauteur de moins de 10 % de l’effectif. Qui s’en émeut ? Où sont les programmes « Tu seras infirmer mon fils » ? Car il y a là aussi un vrai problème de société : quid des hommes qui voudraient exercer un métier étiqueté « non viril » dans l’inconscient collectif ? Quid d’un sage-femme par exemple ?

Pour quelle raison 25 % de femmes en ingénierie empêche-t-il du monde de dormir quand moins de 10 % d’hommes en lettres est socialement acceptable ?

Ne pourrait-on pas simplement envisager que les femmes boudent les techniques pour la même raison que les hommes boudent les lettres : parce que ça ne les intéresse pas ? Ou préfère-t-on continuer à distribuer des « bourses au vagin » qui font autant rire jaune que grincer des dents dans les couloirs des écoles d’ingénieurs ?

#À mon avis…

Il est tout à fait naïf de croire que la discrimination positive va contribuer à l’égalité des chances, car rien ni personne ne s’oppose plus aujourd’hui à ce que chaque personne étudie dans la discipline qui lui plaît, indifféremment de son origine et de son sexe. Au contraire, recréer une inégalité qui tendait à s’estomper ne fait que créer un malaise et des soupçons d’opportunisme à l’égard de ses bénéficiaires, le plus inquiétant étant que cette inégalité est globalement bien accueillie et politiquement correcte.

Le féminisme aura gagné le jour où un ingénieur sera un ingénieur, et où un étudiant sera un étudiant, peu importe son sexe, son origine, ou que sais-je, et qu’on cessera de trouver incroyable, exceptionnelle, [votre superlatif ici] la réussite d’une femme. Je rêve d’un monde où la réussite socio-professionnelle d’une femme serait aussi banale que celle d’un homme.

La distribution de bourses sur critères sexuels est un racolage malsain, qui contribue à maintenir l’idée selon laquelle une femme ne peut s’en sortir sans aide extérieure, alors qu’un homme oui. De plus il est totalement contre-productif de gouverner aux chiffres et de vouloir à toutes forces une parité statistique : en imaginant qu’elle soit possible, quels en seraient alors les bénéfices ? Pouvoir dire « on l’a fait » ? Sans compter que cela passe inévitablement par une manipulation artificielle des effectifs, et veut-on seulement 20 % de femmes motivées par leurs études en ingénierie, ou ces mêmes 20 % avec en plus 30 % d’opportunistes motivées par les bourses ?

Et quand bien même on voudrait gouverner aux chiffres, alors il faudrait être cohérent et encourager de la même manière les hommes en lettres, en biologie, en droit etc. Mais là encore, pour quel bénéfice ?

Je ne sais pas à qui profite cet état de fait, mais il me semble que si une fille n’a pas choisi l’ingénierie pour la même raison que je n’ai pas choisi la biologie, alors c’est une bonne raison. Et vouloir 50 % de femmes en génie ne restera qu’un idéal tout aussi inaccessible que 50 % d’hommes en infirmerie, dans lequel des fonds seront gaspillés à une époque où ils manquent un peu partout.

Tout ceci est à considérer alors que certains partis politiques ne parviennent pas à trouver assez de femmes à présenter aux élections afin de tenir cette stupide parité statistique. Et si… ça ne les intéressait juste pas ?

En attendant, si on prend le sexisme et qu’on le change de sens, c’est toujours du sexisme, quels que soient les torts qu’on essaie de redresser.