Published On : 5 juillet 2019 |Last Updated : 6 juillet 2019 |1756 words|7,4 min read|4 Commentaires on Résister à la canicule sans climatisation|

La canicule est un événement climatique dont la définition varie en fonction des pays, mais qu’on peut synthétiser en une anomalie thermique durant plusieurs jours, au cours desquels la température diurne dépasse 30 °C et la température nocturne ne descend pas sous 15 à 20 °C. En effet, si humains et végétaux sont capables de supporter des hautes températures en journée, les hautes températures de nuit sont bien plus éprouvantes, empêchant les végétaux de reconstituer leur réserves d’eau et les humains de trouver un repos de qualité. Prolongé sur plusieurs jours, l’épuisement s’accumule, et les soucis de santé avec lui. La solution classique est alors d’installer des climatisations, afin d’abaisser la température des logements, mais ces solutions sont coûteuses, très gourmandes en énergie, et l’on prévoit pour les années à venir des augmentations substantielles de la consommation électrique l’été, liées au réchauffement climatique, qui ne feraient donc que l’entretenir. Nous proposons ici une solution d’appoint plus simple, moins coûteuse, et moins consommatrice d’électricité, pour mieux supporter les fortes chaleurs en intérieur.

#Comprendre le problème

Le corps humain a une température moyenne d’environ 37 °C, la surface de la peau ayant des températures comprises entre 28 et 40 °C suivant les régions. Naïvement, on pourrait croire qu’une température extérieure de 37 °C serait confortable pour l’humain, le corps se trouvant ainsi en équilibre thermique avec son milieu. Pourtant, l’inconfort thermique peut apparaître dès 25 °C, ce qui indique que le corps humain est un radiateur qui émet de la chaleur en permanence, et qui doit donc constamment l’évacuer vers l’extérieur.

Les transferts de chaleur se font toujours du corps le plus chaud vers le corps le plus froid (la chaleur, comme l’électricité ou la matière « descend » les potentiels). Le corps humain dissipe donc sa chaleur dans l’atmosphère, tant que celle-ci est plus froide que lui. Cependant, l’air est un isolant thermique qui possède également une faible capacité à stocker de la chaleur («  masse thermique »). Il y a donc peu d’échanges thermiques entre l’air au repos (sans vent) et le corps humain, et une simple brise à 4,5 km/h suffit à doubler leur intensité. Dès que la température de l’air grimpe au dessus de 37 °C, le sens des échanges thermiques s’inverse, et c’est l’air qui réchauffe le corps, alors que celui-ci a toujours un excédent de chaleur à évacuer.

La solution biologique la plus efficace à ce problème thermique passe par l’humidité. En effet, l’eau liquide, lorsqu’elle s’évapore, consomme de la chaleur (et inversement, la vapeur, lorsqu’elle condense, relargue de la chaleur). Ce phénomène est quantifié par l’enthalpie de changement d'état. Le corps humain va donc produire de la vapeur, dans les bronches et à la surface de la peau (par évaporation de la sueur), afin de consommer cette chaleur interne. La vapeur est ensuite évacuée dans l’air ambiant.

Le problème qui survient alors concerne l’humidité : plus l’air ambiant est concentré en vapeur d’eau, plus l’évacuation de la vapeur du corps devient difficile et peu efficace, car un volume d’air donné ne peut contenir qu’une certaine masse de vapeur, qui dépend de sa température. Par exemple, la quantité maximale d’eau vaporisée que peut absorber 1 m³ d’air (à pression atmosphérique standard) est 10 g à 10 °C, 18 g à 20 °C, 32 g à 30 °C, etc.. Ces valeurs correspondent au 100 % d’humidité relative (relative à la température, donc). Des recherches[ref]Upper limits of air humidity for preventing warm respiratory discomfort, Jorn Toftum, Anette S. Jgrgensen, P.O. Fanger, 1997. Lien.[/ref] sur l’influence croisée de l’humidité relative et de la température sur le confort montrent que l’humidité jugée confortable par 90 % des gens à 20 °C est 60 %, alors qu’à 26 °C, on descend à 25 %. Ces valeurs d’humidité relatives apparemment très étalées correspondent en fait à des masses de vapeur comprises entre 6 à 9 g/m³ d’air (à pression atmosphérique standard), beaucoup plus constantes.

Les échanges de température et d’humidité sont des phénomènes temporaux : le corps humain au repos produit une certaine quantité d’énergie thermique chaque seconde, soit environ 80 à 120 watts au repos, et une certaine quantité de vapeur, soit environ 2 à 4 litres par heure au maximum. Ce flux continu d’énergie et de vapeur doit être éliminé en temps réel, à mesure qu’il est produit, pour garder une température moyenne à peu près constante. Or la rapidité des échanges corps/air augmente avec la différence de température et de concentration de vapeur entre le milieu d’origine et le milieu d’arrivée (loi de Fourier) : plus l’air est sec et froid, plus l’excédent de chaleur et d’humidité du corps est évacué rapidement, et plus la transpiration est efficace. À l’inverse, plus l’air est humide et chaud, plus les échanges sont ralentis et la transpiration devient inefficace. On doit alors transpirer plus, ce qui épuise le corps (en draînant son eau et ses minéraux), et la peau reste moite en permanence, ce qui est désagréable.

Dissipation thermique du corps humain dans l’air sec

Ci-dessus, j’ai simulé par le calcul la dissipation thermique pour des individus de 1,60 m à 1,90 m (surfaces de peau de 1,5 à 2 m²), dans de l’air sec, pour différentes vitesses de vent de 0 à 2 m/s (0 à 7 km/h). La modélisation néglige l’influence de l’humidité ambiante, de la sudation, et suppose des échanges thermiques avec l’air par convection et conduction, en utilisant les modèles simplifiés de la plaque verticale en convection naturelle (à v = 0) et du cylindre en écoulement extérieur perpendiculaire (à v > 0).[ref]Détail des calculs : Analyse the heat losses of a Sprinter van[/ref].

On postule que la zone de confort est située aux intersections entre la production thermique (région en rouge) et la dissipation thermique (régions en bleu, orange et vert), en clair quand on dissipe aussi vite qu’on produit. Pour une vitesse de vent nulle, on retombe sur un résultat connu de façon intuitive : la zone de confort tourne autour de 20 à 22 °C. En dessous de la zone en rouge, le corps produit plus de chaleur qu’il n’en évacue par conduction/convection et doit donc suer. Au dessus de cette zone, le corps évacue plus de chaleur qu’il n’en produit et frissonne. À 37 °C, peu importe la vitesse de vent, le corps et l’air sont à l’équilibre thermique et plus aucun échange n’intervient.

On remarque aussi qu’un vent de 2 m/s multiplie la dissipation thermique par 2,5 en comparaison avec l’air au repos, et repousse la température de confort d’environ 9 °C.

#Solutions possibles

La solution la plus évidente, la climatisation, revient à abaisser directement la température ambiante. Le problème principal de cette méthode est sa consommation énergétique : pour abaisser la température d’une maison de 40 m² (d’une hauteur de 2,5 m sous plafond) de 30 °C à 25 °C, il faut extraire 742 MJ de chaleur. Même avec une pompe à chaleur ayant un coefficient de performance de 4 (en climatisation), il faut au moins fournir 41 à 42,5 kWh d’électricité à chaque fois que l’air intérieur est totalement renouvelé depuis l’extérieur (en supposant une isolation parfaite). Là où le bât blesse, c’est qu’avec les puissances généralement recommandées chez les vendeurs pour 40 m² (5 à 6 kW), la descente en température de 30 °C à 25 °C prend alors 7 à 8h, ce qui est pratiquement inutile, d’où là nécessité de démarrer le climatiseur à l’avance (la nuit, par température fraîche), et de le laisser fonctionner en continu. Ainsi, le climatiseur travaille à maintenir la température initiale, en combattant seulement les entrées de chaleur. Mais on en reste à une consommation quotidienne théorique de 45 à 60 kWh, en supposant une climatisation de classe énergétique A++.

À la place, on propose d’agir sur l’humidité. En effet, à 26 °C, l’humidité relative jugée acceptable par 90 % de l’échantillon testé est de l’ordre de 25 %. À 30 °C, on arrive, par extrapolation, juste sous 20 % d’humidité. Ceci correspond au climat du littoral méditerrannéen (Turquie, Grèce, etc.). En France métropolitaine, à de telles chaleurs, l’humidité est souvent comprise entre 40 et 50 %, soit 15 g d’eau par m³ d’air, et un inconfort certain. Pour l’abaisser à 20 % à 30 °C (6 g/m³), il faut alors assécher l’air de 9 g/m³, soit absorber 0,9 kg d’eau (environ 1 l) pour l’ensemble de notre maison de 40 m². Un déshumidificateur conçu pour absorber 32 l sur 40 m² ne consomme que 640 W, soit 5,7 kWh d’énergie sur une journée d’utilisation continue… c’est minimum 9 fois moins qu’une climatisation (en supposant qu’on ait besoin d’utiliser la déshumidification toute la journée), et l’appareil coûte entre un tiers et un cinquième du prix d’une climatisation (entre 200 et 400 €). Combiné avec une ventilation générale (au plafond, par exemple), on peut alors élever la température supportable à plus de 30 °C pour une fraction de l’énergie nécessaire à climatiser.

Il est aussi possible de combiner l’action simultanée d’une climatisation et d’un déshumidificateur, pour imposer à la climatisation une température de consigne plus haute et compenser cette température par une humidité plus faible. Ainsi, abaisser la température de notre maison de référence de 40 m² de 30 °C à 28 °C ne demande que 16,5 kWh, auquel on aujouterait les 5,7 kWh du déshumidificateur, et éventuellement une ventilation générale par plafonnier de 60 W, soit environ 300 Wh par jour, on arrive à une consommation globale de 22,5 kWh par jour, soit à peine plus de la moitié de la consommation initiale, pour un confort probablement supérieur (car, sous 1.25 m/s de vent, la température de confort monte à environ 28 °C).

Autre avantage, à la différence de la climatisation, qui doit s’installer près des murs extérieurs ou des fenêtres pour le raccordement à l’unité de refroidissement, et qui provoque donc un refroidissement excentré et non homogène avec un gradient thermique désagréable, le déshumidificateur n’a pas besoin de sortie d’air et peut se placer en position centrale dans la pièce, pour une action plus homogène.

À méditer…

#Notes

Les résultats donnés ici sont des ordres de grandeur basés sur des calculs théoriques qui utilisent des modèles physiques qui ne sont pas parfaits et se basent sur des hypothèses que je ne peux pas toujours vérifier (faute d’avoir une climatisation sous la main). Si vous avez vous-même une climatisation et ses données de consommation électrique, merci de bien vouloir confirmer ou infirmer les ordres de grandeurs donnés ici.

  1. Le Monolecte 6 juillet 2019 à 0 h 59 min - Répondre

    C’est la solution que j’ai retenu, surtout que dans mon coin de Gascogne, l’air ambiant est plutôt chargé en humidité pratiquement toute l’année, à quoi s’ajoute la médiocre conception des maisons qui, construites sur un sol riche en argile, tendent à garder « les pieds dans l’eau » et à faire remonter l’humidité à travers les murs par capillarité.

    Donc, oui, ça marche… sauf que le déshumidificateur (un très performant, de chez les Allemands de Trotec → https://www.trotec24.fr/machines/deshumidification/deshumidificateurs-domestiques-ttk-e-s/deshumidificateur-ttk-68-e.html), pour extraire l’eau de l’air, il dépense un peu d’énergie qu’il transforme partiellement en…chaleur qui se dissipe dans la pièce à déshumidifier. À la louche, je gagne 1 °C pour un litre extrait, en une heure ou deux, ce qui me permet à peut près de gagner 10 %. Sans compter que passé 32 °C d’air ambiant, le constructeur prévient que son appareil de vient à peu près inefficace.

    Sachant que l’air extérieur la nuit (celui que l’on fait rentrer pour rafraichir) est entre 80 et 100 % d’humidité en période chaude, je commence régulièrement la journée à 80-85 % à l’intérieur. En ce moment, quand j’arrive à 60 %, je suis très contente et effectivement, même si je me retrouve avec une pièce à 25 °C le soir, je gagne en confort grâce à l’air plus sec.

    • Aurélien 6 juillet 2019 à 3 h 53 min

      Merci pour ce retour !

  2. Pierre-Elie 23 septembre 2019 à 8 h 07 min - Répondre

    Bonjour,

    Merci pour cet article. Je m’interroge car il est demandé pour une maison d’avoir une humidité de l’air entre 50 % et 60 %.

    Taux d’humidité dans la maison trop élevé :

    – Température ambiante constamment en dessous de la normal ( Environ 4 °C en moins).

    – Condensation de gouttelettes d’eau sur les surfaces froides (vitres, métal…).

    – Moisissures (odeur de moisi) et mousses sur les murs.

    – Champignons (sur le mobilier et les murs).

    – Vêtements avec aspect mouillé.

    Taux d’humidité dans la maison trop bas :

    – Lèvres gercées et peau glacée.

    – Irritations au niveau de la gorge.

    – Difficultés respiratoires pour les personnes fragiles.

    – Inconfort et gêne constants.

    Donc quel sera notre ressenti à 26 °C 20 % d’humidité ?

    • Aurélien 23 septembre 2019 à 8 h 54 min

      Le problème, c’est que les valeurs d’humidité « classiques » (50-80 %) ne reposent sur rien de concret (je n’ai jamais rien trouvé qui justifie ces valeurs) et supposent probablement une température de 20 °C.

      La condensation sur les murs dépend du point de rosée à la température de l’air, et pas seulement de l’humidité. Par exemple, pour de l’air à 20 °C à 60 % d’humidité relative, il va y avoir condensation sur les murs à partir du moment où leur température est inférieure à 12 °C. Tant que les murs sont à la même température que l’air ambiant, il n’y a pas de condensation, peu importe l’humidité.

      Ensuite, il faut faire la différence entre humidité relative et absolue. L’humidité absolue correspond au rapport entre la masse de vapeur d’eau pure (dite saturée) dissoute par unité de volume d’air humide. Cette humidité absolue admet un maximum, à partir duquel on ne peut plus dissoudre d’avantage de vapeur d’eau dans l’air sec (elle condenserait immédiatement). Ce maximum est appelé la saturation, il varie en fonction de la température et de la pression atmosphérique, et sert de base à l’humidité relative. 80 % d’humidité relative signifie qu’on est à 80 % de la quantité de vapeur maximale admissible par unité de volume d’air à la pression/température actuelles.

      D’après l’étude que j’ai mentionnée dans mon article, 10 % des personnes interrogées trouvent qu’une humidité inférieure ou égale à 20 % est inconfortable, alors que 30 % des personnes trouvent qu’une humidité inférieure ou égale à 55 % est inconfortable. Donc, a priori, plus l’humidité décroît à mesure que la température augmente, plus le confort augmente (https://proxycheck.lib.umanitoba.ca/faculties/engineering/departments/ce2p2e/alternative_village/media/10_Upper_limits_of_air_humidity_preventing_warm_respiratory_discomfort.pdf, fig.9).

      Par contre, ce qui est intéressant, c’est que la ligne du 10 % d’inconfort sur le graphe température/humidité relative correspond à une humidité absolue relativement constante (environ 6 g d’eau par m³ d’air). Donc, en réalité, nous serions plus sensibles à l’humidité absolue qu’à l’humidité relative, avec un optimum de confort entre 6 et 7 g/m³.

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